Souvenirs
d’enfance
Laurence… Merci !
Ces souvenirs-là vous replongent
des années passées, oubliées presque, dures parfois, douces aussi car ce sont
toujours (souvent), les meilleurs moments qui sont encore présents, comme si
c’était hier en fait !
Au plus loin que mes souvenirs
remontent, ceux-ci commencent dès la maternelle, et comme si j’y étais de
nouveau, me revoilà parti sur les chemins de l’école…
Comme un sempiternel refrain, le retour
de la cantine municipale, même si nous étions en rang par deux, encadré par les
maitresses et le maître, nous rendait toujours plus turbulents, bagarreurs,
enclin à jouer au ballon ou à courir après les jupes des filles.
C’était aussi à l’arrivée, le
moment de plaisir de la journée, la grande récré !
Là, sans savoir ni lire, ni écrire
et encore moins compter, nous savions que ça allait durer plus que la petite
pause du matin, et plus encore, avant celle de l’après-midi, plutôt dédiée
elle, à distribuer les goûters. C’était là cet instant privilégié où nous nous
égarions à un peu plus de liberté, à courir dans tous les sens, les uns
derrière les autres, à reluquer le nouveau, à embêter les filles qui jouaient à
l’élastique, ou encore au ballon avec les mains (nous côté garçons, c’était
plutôt avec les pieds, histoire de faire la différence, et dans la cour des
grands, tout juste séparée par un porche, c’était même le maître qui marquait
les buts !).
Tout ce petit monde s’animait dans
un brouhaha amplifié par les salles de classes ou autre préau, qui entouraient
la grande cour. Au milieu de celle-ci, 2 ou 3 arbres d’un âge certain,
rompaient la monotonie de l’espace, mais ceux-ci taillés trop haut,
n’apportaient qu’un piètre repli en cas d’esquive de jeux de grands (les CE1,
juste après CP). Moi je n’étais encore qu’en maternelle, c’était
presqu’hier !
Lorsque la cloche sonnait la fin
des réjouissances, nous passions de l’état d’amusement à celui de « pff..
pas envie de dormi ! », enfin surtout moi !
-
« allez tous à vos table, c’est l’heure de la sieste ! »,
ça c’était la maitresse, sœur Irène.
En ce milieu d’année 60, la mixité
des écoles avait fait son chemin et l’école des filles tenue par les Bonnes
Sœurs, avait ouvert ses portes aux garçons, de son côté l’école des garçons
comptait désormais dans ses rangs, ses premières filles.
Les uns derrière les autres, comme
à la revue, vêtus tous de notre sarrau d’écolier, entendez une blouse dernière
tendance, en synthétique offrant une palette de couleurs impressionnante, digne
des plus éclatants formicas de l’époque, nous rentrions nous mettre à nos
places, pour un moment de repos bien mérité. Les tables n’étaient pas alignées,
elles étaient disposées par petits groupes, mais nous n’avions pas non plus de
place attitrée, autant que je me souvienne.
Bon, la sieste c’était peut-être
bien sur le principe, mais souvent, impossible de dormir comme ça en
claquant des doigts ! A y réfléchir, c’est peut-être bien là que m’est venu mon
goût prononcé et très souvent reconnu, à regarder les mouches voler. J’avais
l’esprit souvent ailleurs, parti dans des rêves éveillés, donc dormir pour en
voir les yeux fermés, j’en voyais certainement pas l’utilité. Faut dire qu’il y
avait pas grand-chose à faire, sauf observer ses camarades de jeux, encore
haletants après des courses effrénées, sombrer les uns après les autres, la
tête lourdement collée contre le bureau en bois vernis, la bouche parfois
ouverte, avec souvent un filet de bave dégoulinant des lèvres à peine ouvertes.
Et je vous passe le tableau des jours d’hiver !
A ce moment-là, quand les mouches
avaient terminé de m’accaparer l’esprit, suivait souvent celui de la première
remontrance, qui ressemblait plus à un ordre qui tombait « Philippe,
dors ! ». Alors je fermais désespérément les yeux, mais à peine,
juste assez pour que la maitresse puisse voir qu’ils étaient clos, mais pas de
trop non plus, pour la voir passez dans les rangs distribuer des bonbons à ceux
qui dormaient du sommeil du juste, enfin presque...
A peine le bonbon était-il posé
devant mon nez, que mes sens repartaient à 100 à l’heure, avec la ferme
intention de récupérer d’une manière ou une autre, une seconde sucrerie.
Il fallait viser juste, et
attendre que la maitresse ait le dos tourné. Conserver les yeux mi-clos, ne pas
bouger ou si peu, avancer le bras qui servait d’appui à la tête, pousser la
main en direction du bonbon et le moment venu, dans un mouvement rapide,
attraper le précieux butin.
Bon, ça marchait tous les coups,
faut le reconnaitre, et j’ai aussi perdu quelques bonbons dans la
bataille ; envolés dans un mouvement trop brusque, finissant leur course
dans un roulement très reconnaissable, au milieu des dormeurs, et aux pieds de
la maitresse. Resté collé aussi au creux de la main rendue immobile par la
gentille donatrice, qui l’avait surprise en plein larcin. Ou benoitement reposé
au même endroit, où ils saillaient quelques instants plus tôt avant d’être pris
la main dans le sac, et retiré nonobstant par la même main, qui l’avait déposé
quelques instants avant.
Bref, pas facile la vie, mais par
contre doublement agréable quand la subtilisation faite du premier bonbon, la
maitresse en reposait un second devant votre nez, pensant avoir oublié de
récompenser le chérubin chapardeur de cette magnifique sieste, et de ce long
moment de silence fort apprécié.
Beaucoup de choses pendant cette
période de l’enfance, sont raccrochées aux périodes scolaires, aux vacances,
les temps libres passés avec les voisins.
Et de sieste en récrées, les jours
défilaient presque toujours identiques, l’école était notre quotidien, enfin
presque…Ce matin comme tous les matins où la vie d’écolier devait
inexorablement vous sortir de rêves à peine achevés, ma mère venait me
réveiller.
Mais ce matin-là celle-ci me
regardait un peu bizarrement, et que je te regarde comme ci, et comme ça..
« fais voir ? » « Y’a quelque chose qui va pas, on va
appeler le médecin… »
Deux heures après, ça y’est c’est
officiel, j’ai la rougeole !
Le médecin venait de quitter la
chambre, le verdict était tombé. Plein de petites taches rouges parsèment mon
épiderme et comme la varicelle est déjà un très vieux souvenir, je venais de
décrocher la timbale à l’aube de mes presque 6 ans ; la rougeole était
là !
Bon et après ça fait quoi la
rougeole ? Ben avec quelques médicaments durement avalés, ça fait dormir
encore dormir et toujours dormir, voilà le programme des jours à venir. Mais
c’était sans compter sans la Bonne Sœur aux Piqûres qui déboula le lendemain
dans ma chambre confinée, et avec un grand sourire, un accent rigolo et des R
qui n’en finissaient plus de rouler, me collait sans avoir rien demandé ni à
moi, ni à mon arrière train jusqu’alors préservé, une aiguille plus longue que
ça encore, dans la fesse droite.
Tu vas voirrrr, tu vas rrrrien
sentirrrr… Ben voyons ! Elle a dû être infirmière dans le 6e BPC de
l’opération Castor de Diên Biên Phu, c’est pas possible ! En plus d’être
malade, j’avais mal aux fesses maintenant, fantastique non ?!
« Vous mettrrrrez un
rrrrrideau rrrrouge à la fenêtrrre, vous verrrrrez la rrrrougeole va passer
toute seule, dans quelques jourrrrs, il n’aurrra plus rrrien »
Aussitôt dit, ma mère allait
chercher un drap rouge et l’étendait pour couvrir la fenêtre, et du coup la
chambre prenait en journée des allures de lupanar, j’voyais pas la vie en rose,
là je voyais tout rouge… Pardon, rrrrrouge !
Après quelques jours longs et
interminables, à geindre et à ne dormir que sur une fesse, plus rien, ni
petits boutons, ni même rougeur, à croire que la Bonne Sœur avait eu raison et
c’est avec un grand sourire qu’un beau matin, elle pointa de nouveau le bout de
son nez rond, à la porte de la chambre. « Alorrrrrs, comment ça va le
malade, je vois qu’on a rrrrepris des forrrrces ! Encorrrre une
petite piqûrrrrre et il n’y parrraitra plus rrrrien ».
Pas le temps de dire ouf, deuxième
perforation en quelques jours, l’autre fesse cette fois.
Et là y’avait plus de doute
possible, elle venait de rentrer des Dardanelles !
La vie à peine commencée ne nous
épargnait déjà pas, qui plus est, celle en campagne était-elle peut-être plus
vraie, plus riche aussi que celle de la ville, en tout état de cause était-elle
différente.
La Rougeole passée, la vie
reprenait comme avant, avec une expérience en plus, celle des piqûres et de la
médecine militaire. Mais rapidement ce n’était plus qu’un lointain souvenir.
Avec la bande en culotte courte, nous
étions d’infatigables aventuriers, car outre les commerces, il y avait plusieurs
fermes, dans le village et il n’était pas rare de nous voir grimper sur les tas
de paille ou de foin à peine rentrés pour l’hiver. C’était parfois seul aussi, que je m’égarais
dans les remises, garages et greniers qui formaient notre territoire.
Un jour comme bien d’autre, je
tombais sur cette chose encore une fois. Bien sûr je savais ce que c’était, je
l’avais identifié depuis longtemps, mais c’était plutôt sa mine rouillée et
cabossée que je dédaignais.
La voiture à pédales. Là, dans ce
grenier à peine aménagé où s’entassaient des roues de rechange de l’Aronde
break et noire, du verre pour les fenêtres, que mon père utilisait plus souvent
chez les voisins après mes passages, que pour ses propres clients. Il y avait
aussi des tas de bobines de ficelles de chanvre utilisées pour lier la paille,
l’odeur était typique, accueillante, et au milieu de tous cela, la voiture à
pédales.
Elle avant une forme qui rappelait
celle d’un parallélépipède, de couleur rouge et rouille. Enfin plus rouille que
rouge avec deux cercles sur le devant qui devait lui servir de phares, un
volant noir et fin en plastique. Elle ressemblait à une R8 de la Régie Renault,
mais en rouge et sans toit. Juste un truc rouge cabossé, rectangle, un volant,
4 roues et un morceau de tôle en guise de siège. Je n’ai jamais su à qui avait
appartenu cette guimbarde usagée, mais du haut de mes 90cm, je pensais bien
qu’elle pourrait m’occuper au moins 5 minutes.
Sitôt dit (sitôt pensé plutôt),
j’allais de ce pas donner l’alerte auprès de mon père qu’une magnifique épave
dormait dans le grenier, et qu’il me fallait (forcément) sur le champ, en
disposer !
Après moultes tergiversations, mon
père ne reculant devant aucun effort fit le nécessaire et c’est au retour d’une
épique journée d’école que je découvris ce joyau de la pédale, au beau milieu
de la cour de la maison.
A peine le dernier carreau de
chocolat avalé (passage obligé par la case « ma mère »), que je me
ruais vers ce magnifique carrosse, à peine abîmé et habillé d’une très belle
robe rouge. Pas peu fier !
J’étais content, heureux de
pouvoir contempler ce joyau de l’automobile à mes pieds. Second grand moment,
celui de l’apprentissage qui commençait par devoir poser ses fesses (même
petites), dans l’espace réservé au pilote.
Là, les choses commencèrent à se
compliquer un peu, car pour ceux (ou celles) qui n’ont pas eu l’occasion de
poser leur fesses (mêmes petites, je le répète) dans une chose identique,
ne peuvent pas comprendre…
Tout d’abord aucune porte ne vient
agrémenter la voiture, et seul un trou avec un morceau de tôle au fond pour
recevoir vos fesses, est la seule possibilité pour monter dedans. « Monter
dans une voiture », voilà peut-être l’origine de l’expression, tout du
moins c’est ce qu’il m’arrivait dans le milieu de cette cour, en plein soleil ;
devoir monter dans cette guimbarde !
Une première jambe, non pas
possible j’avais déjà le dessus de la cuisse en feu, râpé par une tôle à peine
arrondie. Les deux jambes alors d’un coup ?
Encore moins ! Je restais
coincé, le cul en apesanteur, les bras sur la carlingue et les jambes coincées
qui cherchaient désespérément les pédales. Après de très longues secondes à
souffrir le martyre, je m’aperçus alors que je pouvais poser un pied sur
quelque chose de dur. Et telle ne fut pas ma surprise de découvrir que la dite
voiture ne disposait pas de fond ! La chose dure en fait était le sol de
la cour (sic !).
Dans un mouvement de replis une
jambe plus intelligente que l’autre, vint en position pour donner de l’aisance
au conducteur et tout à coup, le siège de la voiture, vint à m’accueillir comme
il se doit. Je venais de prendre place dans la voiture, les fesses bien calées,
les pieds au fond sur les pédales, les mains sur le volant.
Encore une fois, le visage
rayonnant, j’étais content de cette position derrière ce cercle noir, comme une
prise, un trophée. Bon, le seul bémol, c’est qu’à force de la regarder dans le
grenier cette boite rouge, chaque jour passant, je prenais quelques centimètres
et mes genoux râpaient du coup contre la tôle à chaque coup de pédale.
Oh ce n’était pas bien grave et ma
fierté était là pour compenser, mais les saisons passèrent, de l’été, à
l’automne et l’hiver arrivé, il fallut la mettre au garage pour l’année
suivante.
Les jours passèrent et les mois,
le printemps et l’été furent de nouveau là, mais la voiture à pédales due
rester à sa place. La culotte courte avait rétrécie, les pédales forcément
auraient dû être plus proches, mais impossible de m’y loger, ni de retrouver
cette sensation du pilote qui entre dans sa bête pour la dompter.
Désespérément je l’abandonnais là
et la voiture à pédales retournait dans son coin de grenier, pour y prendre un
peu plus d’âge.
C’est vrai que les souvenirs
mécanisés étaient très précieux pour nous, car il n’était pas rare de croiser
encore une carriole à cheval et même si nous n’en n’étions qu’au début, les
voitures n’étaient pas légion. Et tellement rares aussi, qu’il nous arrivait de
les regarder passer sur la « gran’ route », et de les comptabiliser
des heures durant. Pas de jeu vidéo, ou autre télévision pour nous accaparer,
nous avions l’imagination pour nous et les illustrations des encyclopédies.
Combien de gamins aujourd’hui savent ce que c’est, alors que nos parents
collectionnaient les 10 ou 20 tomes des « tout l’univers ».. Tout un
programme pour des enfants comme nous étions, avides d’images,
d’aventures, d’horizons lointains.
Sans plus de voiture à pédales donc, mais à
pied ou encore à vélo, c’est dans ce petit hameau, du haut de mes trois pommes,
que la vie avançait, entre copains, famille, goûters, anniversaires ou école
encore.
En cette fin juin, nous venions de
raccrocher nos cartables, et pour ce dernier jour de classe après une grande
journée de ménage et nous poussions enfin la porte des grandes vacances. Plus
de deux mois à ne rien faire ou presque !
Vivant à la campagne, les petits
travaux d’été ne manquaient pas et en cette fin juin, début juillet, tout nous
occupe. Ramasser le reste de pommes de terre en plein champ, cueillir les
cerises, et jouer surtout avec la bande de voisins.
Le hameau s’était construit autour
d’un imposant édifice religieux, je veux dire une Basilique. Cette basilique
(dite « mineure », pour la différencier de celle de Rome) en pierre
de la région, était principalement construite en granit. Sa construction en ce
lieu un peu à l’écart du bourg, était étroitement liée à des apparitions de la
Vierge, il y a bien longtemps, la légende se perd en conjectures quant à une
date précise. La première chapelle construite vers le 17ème siècle, endommagée
par les Bleus pendant les guerres de Vendée, fut reconstruire 3 siècles plus
tard.
Au pied de cette immense bâtisse,
une esplanade avec pelouses, arbres et autres calvaire et statues devenait
quasi tous les jours, notre incontournable terrain de jeux. Nous étions une
bande de gamins, tous nées à quelques semaines, ou quelques mois, tout au plus
tous dans les 2 ans, du plus jeune au plus âgé et notre domaine était là. Pas
ou très peu de voitures pour nous déranger. Parfois une messe avec les femmes
du village pour écouter le prêche de la journée, messe pendant laquelle nous
nous tenions sage, et plutôt silencieux, sinon nous finissions assez rapidement
devant le curé, à nous tancer et nous promettre des heures à venir, très
sombres (un peu comme lui, avec sa soutane et son grand chapeau). Tous les
jours les cloches résonnaient pour l’angélus, et cela rythmait aussi matinées
et tantôts, de notre groupe d’une quinzaine de gamins, au plus grand complet.
Sur cette esplanade, nous
profitions de l’herbe fraichement tondue, pour nous y installer et jouer à la
chandelle. Nous sautions aussi de pierres en pierres (genre de grands bancs
taillés dans le granit) autour du calvaire, ou nous nous accrochions aux
grilles de celui-ci pour en faire le tour sans mettre le pied par. Parfois nous
bravions l’interdit (simple cadenas à la gille) et entrions dans ce lieu où les
12 apôtres avaient leur statue grandeur nature, c’était notre citadelle et dans
le plus grand secret nous montions jusqu’à son sommet via un escalier en
colimaçon qui nous menait soit en haut à la vue de tous (nous prenions garde de
bien nous cacher), ou soit nous menait dans les soubassements, non aboutis, de
la fontaine au 7 sources. Là le mystère s’épaississait et disait-on qu’il y
avait encore des souterrains inexplorés, qui menaient jusqu’au château fort,
situé à quelques kilomètres d’ici. L’endroit était sombre, et nous ne
demandions jamais notre reste pour revenir dar, dar, à la lumière.
Le calvaire était l’endroit favori
des grandes parties de cache-cache. Combien d’heures et de culottes courtes y
aurais-je laissé, à mon plus grand plaisir et au plus grand désespoir de ma
mère… Sur cette esplanade, de majestueux platanes d’un autre temps, bien
alignés apportaient solennité et beauté à l’endroit, mais aussi faisaient
d’excellentes cachettes, car suffisamment gros pour pouvoir nous y cacher
derrière.
Avec les anniversaires ou le Noël,
nous trouvions une solution pour jouer à cache-cache, sans devoir compter, et
prendre le risque de ne pas pouvoir énumérer la cinquantaine jusqu’au bout.
Nous mettions un ballon fraichement débarrassé de son papier cadeau, au milieu
de nous et un premier volontaire, était désigné par le groupe pour rechercher
ceux qui allaient se cacher. Le meilleur buteur de foot du moment, prenait son
élan et frappait alors le ballon, afin qu’il aille le plus loin possible.
C’était notre coup d’envoi, pour aller nous cacher. Le volontaire désigné
d’office courait chercher le ballon et le ramenait à son point de départ, et la
recherche pouvait commencer. Le jeu s’arrêtait lorsque tout le monde était
trouvé, ou continuait encore dès lors que l’un encore non attrapé, venait
frapper le ballon, provoquant du même coup la libération de ceux qui se
morfondaient. En règle général ça se terminait en pleurs, en « j’en ai
marre ! j’veux plus jouer ! », et en général l’angélus du soir
sonnait l’arrêt définitif des réjouissances. Peu importe, le lendemain, nous
nous retrouvions et de nouvelles idées de jeux fusaient, sans que nous nous en
lassions. Les gendarmes et les voleurs avaient longtemps été au hit-parade de
nos meilleurs jeux, ensuite avec la venue de la première télé, on était des
cow-boys ou des indiens, suivant l’accoutrement du moment :
-
« Moi c’est Œil de Faucon ! »
-
« On dirait plutôt, œil de Vrai C.. ! »
-
« Tu vas voir si je t’attrape ! »,
Et voilà encore une belle journée
qui commençait bien...
Ou alors, on devenait espion dans
la peau de Max la Menace, et on pouvait nous voir parler à nos chaussures ou
nous soulevions avec beaucoup d’énergie dépensée, les monstres de granit, à la
façon de Fifi Brindacier. En petits comités ou avec le groupe au grand complet,
il y avait toujours des jeux sur l’esplanade. Enfin presque tout le temps…
Au milieu du mois d’Août, notre
espace de libertés prenait de la hauteur et l’endroit devenait plus théâtral.
Centre de pèlerinage Marial oblige, la fête du 15 Août était alors
incontournable, mais la Basilique trop petite ne pouvant accueillir tous les
pèlerins d’un coup, le curé prenait ses quartiers dehors, en élisant
villégiature à l’entrée du calvaire, notre calvaire !
Un podium ressemblant à une scène
de concert était installé par les habitants du village, elle prenait appui d’un
côté sur une structure métallique et de l’autre sur la partie en granit du
calvaire. Le parquet ainsi disposé, dominait à plus d’un mètre au-dessus du
sol, ce qui permettait lors des jours de grandes influences comme au 15 Août,
de cérémonier et d’être vu par toute la foule d’un coup.
Nous savions ce qu’il en était,
nous faisons partie des enfants de cœurs !
Le 15 Août était un jour
particulier, car s’il célébrait la « Boun’ Vierge », il servait aussi
de prétexte à la bénédiction des voitures de tout un chacun. La voiture avait
perdu son côté tacot, et s’était modernisée, avait pris en vitesse aussi, mais
peu gagné en sécurité et les accidents de circulations devenaient
malheureusement très courants, de nombreuses familles continuaient de payer un
terrible tribut à cette nouvelle modernité. Comme pour conjurer une mécanique
machiavélique, et sans aller jusqu’à diabolique (quoi que !), le curé
avait organisé une grande partie de goupillon, au pied de la basilique. Une
fois la grand-messe en plein air terminée, un service d’ordre digne de
meilleures courses de rallye, disposait les voitures de tout le monde, des
visiteurs ayant traversé le département, comme celles des autochtones, à la
queue leu leu. Lorsque Monsieur le curé était prêt, c’est au pas et à grands
coups de « je vous salue Marie », que les voitures avançaient se
faire bénir. Et la première passait, et enfant de cœur
« volontaire », le seau d’eau bénite en main, je m’appliquais à
rester dans la trajectoire descendante du goupillon tenu par le curé, pour
qu’il se charge en eau, et s’étaient des Aronde, Dauphines, 4 chevaux, DS, 404,
R8 ou R10 ou 4L ou 2 chevaux encore, qui défilaient et splash, une en plus,
splach encore.. Bref, au bout d’une heure, fallait au moins ça, les voitures
désormais protégées par la bienveillance céleste, reprenaient le chemin du parking,
et les conducteurs tous contents et fiers d’avoir participé à l’évènement,
entraient dans les cafés toujours ouverts après la messe, pour arroser comme il
se doit ce jour bénit !
Dans ce petit village du Bocage,
situé à une heure de l’océan d’un côté, et à une heure des vastes plaines à blé
de Poitiers, le moindre visiteur, le moindre événement même extérieur devenait
souvent à nos yeux de mômes, extraordinaires. Dans le village on dénombrait 4
bistrots, 1 boulangerie, 2 épiceries, 1 cordonnier, 1 grande quincaillerie, 1
maréchal ferrant, 1 garagiste avec ses pompes à essence (et ses BD de Luky
Luke), un marchand de cochons (même si on n’en voyait jamais un seul !).
Et aussi un lavoir où les dames allaient tous les lundi matin, les brouettes
chargées comme des mules, remplies des lourds draps de la semaine. C’était tous
les jours l’effervescence dans ce village.
Pour nous avec les copains, ces
grandes vacances c’était le meilleur moment qu’il fut, et pour moi surtout,
synonyme de retrouvailles. Nous avions des amis habitant dans le Territoire de
Belfort et qui venaient nous rendre visite chaque année pendant les vacances.
Leur plus long séjour était pendant l’été, et ils profitaient parfois de leurs
vacances, pour venir avec la « Mama », la grand-mère Italienne. Elle
avait tout le l’Italie chaleureuse, joviale et conviviale. Avec un embonpoint
certain, elle avait toujours les cheveux tirés en arrière et un petit chignon
finissait sa coiffure.
Un jour nous sommes allés faire un
tour à la plage, Les Sables d’Olonne très certainement, et j’ai été touché par
cette image très forte, de cette Mama qui venait de quitter son Territoire de
Belfort, avait traversé toute la France et se retrouvait pour la première fois
de sa vie devant l’océan. Après quelques pas dans le sable fin, elle s’arrêta,
pris le temps de s’assoir sans quitter des yeux les vagues. Son regard
embrassait l’immensité tumultueuse, le visage souriant, des larmes
coulaient sur ses joues de grand-mère Italienne. Immobile et très émue, elle resta
de longs moments à contempler l’infini, à rattraper le temps perdu et profiter,
profiter encore et encore de ce spectacle beau et puissant à la fois de
l’océan.
Nos amis du Territoire de Belfort
n’étaient pas venus « comme çà » de simples amis que l’on pourrait se
faire au détour de vacances par exemple. Pierre alors adolescent avait suivi
ses parents jusqu’en Vendée, poursuivis par les Allemands pendant la dernière
guerre. Ils avaient trouvé refuge chez mon grand-père, le père de ma mère, dans
sa ferme. La ferme était grande et disposait, si ce n’était à la maison, mais
au moins dans les différents bâtiments, de la place pour une voir plusieurs
familles. Comme beaucoup de familles réfugiées de l’époque, ils avaient tout
laissé derrière eux, en l’occurrence leur petite quincaillerie de Montbéliard.
Ils avaient pris avec eux le minimum, car le voyage était long, et la route
loin d’être sure. Mon grand-père ayant fait Verdun, il savait ce que le mot
guerre représentait et les accueillis dans la ferme familiale. Rapidement au
fil des saisons, ils participaient aux travaux des champs, travaillaient à la
ferme et liaient une forte amitié avec la famille. Le père de Pierre cherchait
des renseignements concernant la résistance, très actif, il rejoignait les
réseaux du coin, qui avaient vu le jour avec l’occupation.
Un jour les militaires Allemands
débarquèrent dans la cour de la ferme, ils recherchaient des fugitifs et
commencèrent à vouloir fouiller la maison. Mon grand-père, un homme de forte
stature, ayant perdu un œil lors de la première grande guerre, lui qui avait
fait Verdun ne se laissa pas impressionner. Il se tenait dans l’encadrement de
la porte et lança aux militaires qu’il n’y avait personne à rechercher ici et
que s’ils voulaient fouiller la maison, ils devaient d’abord s’occuper de lui.
Peut-être était-il prêt à en découdre, il en allait par contre tout autrement
pour ma mère encore jeune fille et ma grand-mère. Toutes les deux étaient des
plus apeurées, mais il ne fallait pas le montrer devant l’occupant et rester
déterminées quoi qu’il en coûte.
Les militaires avaient
certainement mieux à faire que de chercher querelle, et s’en furent au plus
grand soulagement de tout le monde. Nos amis firent pendant quelques temps
profil bas, la ferme étant une grande cour fermée par les bâtiments, il ne fut
pas trop difficile de rester discrets et invisibles. La famille pensait plus à
un délateur du village voisin, qu’à une visite à l’improviste des militaires.
Mais cela n’alla pas au-delà du doute, ils ne surent jamais qui avait pu les
donner.
La guerre terminée, nos amis
repartirent à l’autre bout de la France, en se promettant toutefois de revenir
tant les liens d’amitié étaient devenus forts. Et c’est ainsi, qu’au fil des
années et des périodes de vacances des uns et des autres, nous profitions de
leur présence mais aussi de temps à autre, de leur hospitalité.
Les années passèrent, Pierre se
maria avec une jeune fille au sang mêlé d’Italie et de Franche-Comté, et c’est
la Mama de celle-ci qui en ce merveilleux jour de plage était là assise devant
moi, le sourire gravé sur son visage et les yeux embués de larmes de bonheur.
Une fois leurs vacances terminées,
nos amis repartaient dans leur foyer avec de temps à autre, votre serviteur
dans leurs bagages.
Ayant eu 5 enfants, ils n’avaient
aucun mal à me recevoir, d’autant plus que les plus grands étaient soit partis
en camps, chez d’autres amis, ou encore avaient-ils trouvé un job pour l’été.
La maison était grande, avec d’un côté ses longs couloirs d’une grande ferme reconvertie
en pièces habitables, cuisine, salon et autres chambres et de l’autre
côté, un bistrot.
L’activité ne manquait jamais, les
clients apportaient leur bonne humeur, ou leurs histoires du jour, qui ne
manquaient jamais de focaliser l’attention des plus invétérés piliers de bar.
Le bistrot était presque intime, les petits carreaux jaunes des fenêtres
assombrissaient l’espace et son odeur était caractéristique, mélange de tabac
et fumée. Ici on est au pays de la choucroute (entre autre), de la saucisse fumée
de Montbéliard et celle de Morteau n’est pas loin non plus. La porte du bistrot
donnait directement sur le carrefour de la route qui menait au pays Helvétique.
La Suisse n’était qu’à 4 kilomètres et il n’était pas rare que nous y allions
pour faire le plein de la voiture ou encore y manger une excellente fondue au
fromage. Pour cela, le dimanche nous laissions la voiture à l’orée du bois qui
donnait la limite de nos deux pays, France d’un côté, Suisse de l’autre, avec
entre les deux, un douanier Suisse pour vérifier qui avait le droit de passer
ou pas. L’auberge perdue dans ce fond de campagne, nous accueillait pour
festoyer, rire, et refaire le monde. La fondue, cette fondue-là, avait ce goût
particulier des instants de bonheur qu’on n’oublie jamais.
Cette famille qui m’accueillait,
était une famille de randonneurs chevronnés, et de temps à autres, partait
faire le tour du Mont Blanc, qui n’était qu’à quelques encablures à vol
d’oiseau. La montagne d’un côté, la Suisse de l’autre c’est tout naturellement
qu’un jour, alors que je cherchais à m’occuper, on me déguisa en très jeune
Helvète, avec le short en cuir tenu par des bretelles, elles aussi en cuir, et
reliées par le devant par un morceau lui aussi de la même matière surmonté d’un
édelweiss cousu en plein milieu. Vu la vitesse à laquelle j’usais mes fonds de
culottes, celle-ci aucun danger ! Même si au début la rigidité de
l’ensemble faisait que l’habillage était un peu sportif, très rapidement le
confort de l’ensemble fit que je ne m’en passais plus. Avec 5 enfants à la
maison, même si tous n’étaient pas tout le temps-là, les jeux ne manquaient pas
et on mit un jour à ma disposition des déguisements. Mon préféré, car c’était
aux actualités aussi, c’était celui de cosmonaute.
La combinaison de couleur
aluminium, m’allait comme un gant, des bottes brillantes aux pieds, la
combinaison remonté jusqu’aux oreilles il ne me restait plus qu’à mettre le
casque. C’était un peu plus compliqué là, car cela avait tendance à frotter aux
oreilles et ce n’était pas vraiment l’accessoire qui m’allait le mieux. Mais
une fois l’accoutrement bien en place, je n’étais pas peu fier de moi. Il ne me
restait plus qu’à me glisser dans le bout de fusée qui allait avec le costume.
Bout de fusée qui ressemblait à s’y méprendre (au plastique près), au module
des fusées lunaires Apollo. Pour moi c’était le grand décollage, le compte à
rebours, la marche sur la Lune, la collecte des cailloux lunaires… J’étais dans
mon monde, heureux.
Après quinze jours ainsi passés,
entre le cosmos et les Alpes Suisses, mes parents venaient à leur tour se
reposer une semaine et profiter de l’hospitalité de nos amis. Leur arrivée même
si très attendue, sonnait aussi à brève échéance, le retour à la maison,
direction plein Ouest.
Parfois je revenais avec la
culotte de cuir, ma sœur en vacances en Autriche, m’avait acheté un chapeau
Tyrolien pour parfaire la tenue. Autant alors que j’étais chez nos amis, la
culotte de cuir était coutumière à voir, car faisait partie du folklore, même
mieux était l’habit de certains hommes du village, les jours de fêtes ou les
dimanches, autant une fois revenu à la maison, que mes copains ne tardaient pas
à rire de moi. Et donc exit la culotte de cuir, revenons au short d’été, à
peine assez épais pour contenir les assauts des indiens se défilant devant une
horde de cow-boys, très motivés à leur faire la peau. J’avais retrouvé
les copains et les vacances pouvaient reprendre là où elles s’étaient arrêtées,
le temps de cette pause au pays de Montbéliard.
Toujours des souvenirs de vacances
ou de copains ou de famille. Toujours plein d’activités au jour le jour, tantôt
ici, tantôt là, à courir derrière des vaches dans les prés, ou parfois devant
pour leur échapper… Les journées étaient trop courtes dans ces moments-là, mais
parfois ces mêmes journées paraissaient interminables, faute de trouver de quoi
s’amuser, ou une nouvelle idée de jeu.
Il m’arrivait alors, d’accompagner
mon père soigner les bêtes dans les fermes ou aller dépanner avec lui, une
machine récalcitrante dans les champs. Mon père était Maréchal Ferrant, il
donnait les premiers soins aux bœufs et autres chevaux de traits, mais
rapidement avec la mécanisation en campagne il avait dû se reconvertir à la
mécanique agricole.
Les moments avec mon père
étaient précieux, car rares, et quand celui-ci prenait quelques jours avec
nous, ma mère, mes sœurs et moi, c’étaient des instants vraiment privilégiés.
Le nez dans le bocage à longueur
d’année, nous profitions de temps à autre, pour nous en échapper et filer
direction l’océan. Une des destinations que mes parents adoraient, c’était Les
Sables d’Olonne. Non pas que ce fut la plus proche, mais c’était certainement
la ville côtière, la plus agréable du moment, ville, port, grande plage de
sable fin, tout était réuni là, pour passer quelques jours de repos toujours
très agréables. Aux Sables, nous retrouvions un peu aussi notre simplicité de
campagne, on y était bien.
Après presque deux heures de
trajet, entassés dans une 4L (toujours de la Régie), avec mes 2 sœurs à l’arrière,
les bagages qui débordaient du coffre, nous débarquions en ce début septembre,
dans une petite location pour quelques jours de plage et d’océan, au cœur des
Sables. La place était chère, et il fallait s’organiser tant bien que mal pour
y passer de bons moments malgré tout.
Fin d’été, après quelques
courses du matin, tantôt au marché, tantôt sur le port, et une première
promenade sur le remblai, la chaleur nous faisait encore raser les murs. L’été
était toujours bien présent, sans faillir années après années. Le déjeuner
s’organisait prestement et une fois terminé, la vaisselle déjà nettoyée et
rangée, nous devions faire la sieste, pire qu’à l’école mais là pas question de
chaparder quoi que ce soit, car c’était simple, si tu ne dors pas, tu fais tes
devoirs de vacances… Donc quitte à choisir, repos !
Nous n’étions pas à la plage
avant le milieu d’après-midi, un peu avant le goûter. Le temps de nous poser,
de louer une cabine de plage rayée bleue et blanche, de mettre en place les
sièges, les serviettes, la glacière de voyage qui nous accompagnait pour les
boissons fraiches, et nous voilà partis pour quelques heures de châteaux de
sables, de trous immenses à reboucher inlassablement ou à vider de son eau de
mer, que le ressac ne finissait plus de remplir, de soleil et de bains dans
l’océan.
Ici ce n’est pas la Mer, c’est
l’Océan et toute sa beauté, son calme plat synonyme de drapeau vert et donc de
baignade sans soucis pour mes parents. L’océan, c’était le début de grandes
histoires aussi, les yeux plongés dans l’horizon, on avait l’impression
de la toucher, comme une terre promise, car là-bas tout au bout c’était déjà
l’Amérique.
Et l’Amérique pour un petit garçon
de 9 ans, c’est avant tout des cow-boys, des indiens, de grandes plaines, des
chevaux, des Shérifs, des revolvers, toutes ces images et histoires du
far-West, lues et relues dans les encyclopédies, si merveilleusement coloriées.
Quand le drapeau sur la plage
virait du vert à l’orange, je restais sur le sable à contempler cette ligne au
loin, l’imagination faisait alors le reste et je m’évadais comme çà, loin, très
loin.
C’était des vacances de lecture
pour la famille, de jeux, de chamailleries aussi avec mes sœurs, mais c’était
avant tout la famille et le plaisir de se retrouver tous ensemble. Le soleil
dans le ciel était déjà plus bas et son reflet sur les flots s’étendait dans un
ciel qui prenait ses couleurs de fin d’après-midi. C’était pour nous aussi, le
signal du retour dans notre appartement loué dans une étroite ruelle de ce centre
des Sables, juste là, à deux pas de la plage et de l’horloge carrée qui domine
la longue promenade du remblai.
Ce jour-là, il n’y avait rien de
particulier, un peu comme une routine installée, le matin marché, boulangerie,
port et l’après-midi, sieste et plage. Les soirées se terminaient généralement
après le diner et une grande promenade le long de l’océan.
Une routine faite aussi pour se
reposer des longues semaines de travail. Là, la famille, le calme, la
nonchalance, la chaleur de cette fin d’été, faisaient bon ménage. Sans parler
de bonheur, ça se passait comme ça et nous étions contents d’être là.
Nous nous affairions à préparer
notre nuit, pyjama, brossage de dents, débarbouillage, et déjà le sommeil
prenait le dessus. L’air marin chargé d’iode nous épuisait, c’était un vrai
plaisir, nous tombions les uns après les autres, repus de notre journée ici. La
lumière finissait pas s’éteindre et nos parents se coucher eux aussi.
Et tout à coup ce bruit sourd, ce
grondement jamais encore entendu, long à n’en plus finir, on pouvait imaginer
toute la puissance de la chose qui nous sortait avec torpeur, de notre nuit à
peine commencée. Très vite mes parents émergèrent et allumèrent nos chambres,
nous nous retrouvions quasi hystériques, mais surtout effrayés, dans la pièce
qui tenait lieu de salon. Déjà mon père était à la fenêtre et comme presque
tous les voisins, même au-delà, jusqu’où pouvait porter le regard, les gens
s’interpellaient, se questionnaient, se rassuraient aussi.
C’était quoi ? L’orage ?
Un accident ? Un feu d’artifice ? Toutes les hypothèses allaient bon
train, et puis la plus plausible est venue comme une rumeur, comme une longue
vague qui vous submerge…De balcons, en fenêtres, les mots résonnaient comme un
écho dans le long défilé des rues étroites ; non, c’était un tremblement
de terre !
La terre venait de bouger sous nos
pieds, et nous n’avions rien pu faire, cette chose nous avait surpris et apeuré
à la fois, car nous remettait dans une dimension inattendue de fragilité et
d’éphémère, bien loin de cette ambiance chaleureuse de cette fin de journée.
Entre soulagement, et hystérie ma
mère partit dans un grand rire qui nous laissa tous dubitatif et le temps
qu’elle reprenne son souffle, nous avouait toujours entre deux rires, que toute
juste endormie, entre rêve et réalité, elle pensait qu’il s’agissait en fait,
d’un voleur qui courait devant son lit et pour y échapper s’était cachée
sous le peu de couverture en sa possession, espérant que cela finisse
rapidement.
Tous inquiets mais soulagés et amusés
aussi par notre mère, nous regagnions notre lit, en espérant malgré tout, que
ce tremblement de terre soit bien le dernier avant longtemps.
Quelques jours plus tard, nous
n’en finissions plus de raconter « Notre tremblement de terre »
à tout le monde, les voisins, le boulanger, le curé.. bref tout le quartier
jusqu’à au moins 50km à la ronde était au courant.
De retour à la maison, la plage
rendue à des années lumières, la reprise pour tout le monde, école ou travail,
c’était pour demain.
Mes parents d’origine modeste,
comme la plus part des personnes en campagne, possédaient un petit commerce.
Celui-ci faisait suite au commerce tenu par le père de mon père. C’était très
souvent comme çà, les générations se passant le flambeau, pour que l’activité puisse
perdurer et la famille en vivre.
Nous étions dans ces années où le
cheval et les attelages de bœufs parcouraient encore les champs, mais étaient
aussi remplacés progressivement par les machines, et notamment par tous les
tracteurs qui pouvaient nous venir des Amériques.
Parfois le jeudi lorsque nous
restions à la maison, une odeur caractéristique venait titiller nos odorats
encore endormis. Sous la fenêtre de la chambre, mon père officiait !
Un client était venu tôt ce matin
avec son cheval de trait. Ce dernier, boitait, il devait avoir une pierre ou un
morceau de métal ou autre clou, enfoncé dans la chair tendre sous le sabot. Le
cheval était alors installé dans un tramail, pour le maintenir pendant les
opérations délicates qui nécessitaient à retirer les éléments contendants.
Heureusement solidement attaché, l’animal se démenait dès lors que la zone
sensible était approchée, et ce jusqu’à ce que l’objet malheureux fut retiré.
Soigné ensuite, mon père apposait
un pansement le temps de l’opération de la pose du fer. Les fers à chevaux il y
en avait de toutes les tailles, il fallait en choisir un pas trop petit, ni
trop grand, de quoi faire un petit ajustement c’est tout. Le fer ainsi décroché
du plafond de l’atelier, où plusieurs dizaines attendaient une utilisation
prochaine, prenait place au cœur du feu entretenu et puissant de la forge. Mon
père le sortait rougeoyant, le martelait sur l’enclume, pour l’élargir un peu
ou le fermer, suivant ses besoins. Il sortait de la forge et allait avec son
fer, l’ajuster sous le sabot du cheval. A peine avait-il touché la corne qu’une
épaisse fumée s’en dégageait et une odeur caractéristique de corne brulée
envahissait la petite cour devant l’atelier, et remontait ainsi jusqu’à nos
fenêtres de chambres situées au-dessus.
Au-delà du travail de maréchal
ferrant qui était fascinant, c’était aussi le spectacle de ces magnifiques
chevaux qui passaient à la forge se faire soigner, certains plus chétifs que
d’autres, d’autres encore plus grands que les plus grands, plus larges que les
plus larges, et toujours cette très forte impression de puissance et de
robustesse absolue. Un jour pour me faire plaisir, un client de mon père
m’attrapa et me jucha sur son magnifique cheval. Celui-ci était blanc, une
crinière longue à laquelle je m’agrippais, j’avais l’impression d’être monté
sur un mastodonte bienveillant et très intimidant à la fois. Drôle de
sensation, entre fierté, plaisir et apeurement.
Il n’y avait pas que les chevaux
qui passaient par la forge se faire soigner ou entretenir. Un client venait à
l’atelier juché sur sa remorque, attelée à sa bourrique. Les mauvaises langues
disaient qu’ils étaient faits pour s’entendre ces deux-là ! Y’avait un peu
de vrai…
Parfois c’était un attelage de
bœufs qui passait. Ceux-ci étaient plus utilisés pour les travaux demandant de
la puissance, le cheval faisait le labour et les bœufs, passaient la herse et
le rouleau. Là aussi, leurs sabots étaient protégés par des fers spéciaux et
toujours cloués aussi dans la corne, pour qu’ils ne soient perdus trop
rapidement. Mon père s’y entendait pour les soigner et prendre soin d’eux.
J’aimais côtoyer ces animaux impressionnants, il fallait rester calme, les
approcher doucement et seulement là, tendre la main pour les caresser en leur
montrant un brin d’affection.
Pendant que mon père s’affairait
aux travaux de la forge, j’accompagnais aussi ma mère à son jardin. Presque
tous les légumes que nous mangions à la maison, venaient de sa production.
Il y avait en fait 2 jardins, un
grand très potager, et un second aussi mais plus petit, avec des
circonvolutions fleuries, un poulailler, une balançoire aussi pour nous, une
cabane au fond du jardin où nous refaisions le monde. L’atmosphère y était plus
bucolique, alors que dans le premier, l’ordre, les alignements, la terre
fraichement retournée, les parcelles presque tamisées donnaient un air plus
besogneux. Le travail n’y manquait pas et pour que les légumes y trouvent tous
leur place, ma mère était assistée d’un jardinier, Zé !
Petit garçon, tous les adultes
m’impressionnaient, certains, plus que d’autres, il y avait le curé bien sûr en
premier lieu, car lui c’était le patron de la Basilique, juste devant notre
maison. J’en ai connu en soutane, portant un grand chapeau noir pour terminer
le personnage. Il y avait certains clients de mon père, grands, forts avec une
voix puissante qui portait loin, qui commandaient leurs chevaux.
Et il pour y revenir à ce jardin
de ma mère, il y avait Zé qui m’impressionnait aussi.
Zé c’était le petit nom du
jardinier qui donnait le coup de main aux légumes. Difficile de faire beaucoup
plus court me direz-vous ! D’où lui venait-il, impossible à dire car
son véritable nom était Joseph. L’air jovial et d’un certain âge, il composait
avec les lunes les semis ou autres plantations du jardin familial. Aujourd’hui
ici, le lendemain chez un voisin ou encore dans un autre quartier. Il gagnait
ses journées comme çà, vivant à la campagne avec sa famille, il était seul,
ancien militaire en pré-retraite.
Le visage buriné par le soleil,
les mains calleuses, le regard était clair, d’un bleu très perceptible sous la
visière de sa casquette. La cigarette vissée au coin des lèvres, il avançait
derrière ses outils, et la terre prenait forme. Le geste était sûr, toujours
pareil, propre et efficace. Le regarder travailler, c’était un moment
d’apprentissage intense. Aucun mot, la râtelle filait devant lui et revenait
dans des mouvements courbes, et repartait aussi vite et revenait encore, et
repartait… le sol il y a encore 5 minutes, désordonné, grossier, prenait en
quelques mouvements, l’allure d’un tapis, d’un jardin Zen.. Zé n’était pas
loin !
Drôle de bonhomme, qui passait son
temps à jardiner. Il avait été pendant la guerre, l’ordonnance du Générale de
Gaulle, juste ça ! Rien derrière ces traits rugueux, et sa chemise à
carreaux trop grande, ne laissait deviner un homme ancré dans l’histoire. A
l’observer, c’était le respect qui dominait, non pas une admiration, juste de
la considération.
Zé, c’était notre jardinier, mais
c’était bien plus encore !
Le jardin d’un côté, la cuisine de
l’autre, ma mère si elle n’était pas à un endroit, on pouvait être sûr de la
trouver à l’autre.
Et nous, moi et mes sœurs, souvent
devions-nous faire la navette, soit à la chercher dans un coin alors qu’elle
était dans un autre, soit à courir au potager courir derrière le persil qu’il
manquait, ou la salade qui avait été oubliée, pour le repas. Son éducation
d’entre deux guerres l’avait habituée tantôt aux économies, tantôt à l’opulence
toute relative de la ferme. Cette mixité nous allait bien car nous mangions à
notre faim (largement) et toujours de vrais repas, avec une cuisine restée très
traditionnelle.
Une à deux fois par an, c’était le
grand chambardement à la maison. Je voyais ma mère en habit blanc d'infirmière,
comme sortie de son hôpital de campagne, apparaitre de bon matin, affublée de
ses 2 acolytes endimanchées à l’identique. L’une était ma tante, et l’autre la
voisine, toutes deux venues prêter main forte à ma mère, pendant ces quelques
jours de cuisine du cochon. Du fond de la cour, on pouvait les cris du condamné
en train de se faire trucider, mais nous étions persona non grata. Impossible
de participer, ni de près, ni de loin à la mise à mort de nos futures
rillettes. Tout au plus avions nous le droit d’approcher, une fois le cochon
saigné, et passé rapidement dans un feu de paille, histoire de lui brûler
toutes les soies présentes sur le corps. Ensuite d’une main d’expert, un
habitué de la besogne, commençait-il son dépeçage sciemment ordonné. La bête
était vidée, les tripes récupérées, vidées, nettoyées, et laissées là à mariner
dans de la saumure. Les abats mis de côté, le taillage des morceaux nobles
pouvait commencer, et que je te coupe un jambon, et un autre.. les jarrets,
l’échine.. bref, il fallait bien 2 à 3 jours pour tout récupérer, énumérer,
détailler en plus petites portions, cuisiner (la fressure mettait un certain
temps à cuire), assaisonner, saler, conserver..
Tout est bon dans le cochon !
Oui entièrement d’accord, et ça fait pas mal de boulot aussi !
A peine revenu de l'école et mon goûter
du coup, laissé de côté sans gros appétit, j’étais souvent mis à contribution
pour les pâtés, à tourner le moulin à viande, à remplir des grandes casseroles
sorties pour l’occasion. Le travail le plus délicat était la réalisation des
boudins, noirs ou blancs, peu importe ; les boyaux très fins avaient
tendance à se rompre et avaient une forte odeur pas très agréable. Je donnais
aussi le coup de main, à ma mère, lorsqu’elle ficelait le jambon dans le sel.
Bien enveloppé dans un morceau de vieux drap très robuste, le jambon était
recouvert de gros sel, et enveloppé comme cela avec cette grosse couche pour le
protéger et aussi le cuire doucement. Après quelques jours ou semaines, ma mère
vérifiait sa texture et préparait un assaisonnement à base d’épices. L’odeur
très typique des épices Rabelais laissait imaginer de merveilleuses tranches de
jambon sec en perspective.
Pendant ces longues journées où la
maison avait pris des allures de ruche, ça s'agitait de la cave à la cuisine,
de l’arrière cuisine au jardin (pour le laurier, l’ail, la ciboulette, le
persil…) et en quelques jours, le cochon avait complètement disparu,
transformé, coupé, émincé, mouliné, assaisonné, dégusté aussi, pour les
morceaux les plus à même de terminer directement dans la poêle.
Après ces moments de forte
intensité, le calme revenait doucement dans la maison, où quelques jours
durant, flottait encore un petit parfum de cochonnaille.
Voilà quelques souvenirs partagés
ici, triés parmi tant d’autres, comme ce souvenir de cet été 67, nous étions
tous transportés à des milliers de kilomètres de chez nous, de notre planète,
nous étions tous à regarder cet astronaute marcher sur la Lune. Que
d’angoisse, d’émotions, de joie aussi, car c’était l’évènement à ne pas manquer
indéniablement, mais pour nous, le premier événement bien avant cette épopée
humaine, c’était de pouvoir regarder la télévision de notre voisine de tante,
car point de poste chez nous.
Souvenir aussi des PTT Postes,
Télégraphes et Téléphones, pour ceux qui auraient oublié, et de ce téléphone
que nous possédions pour une bonne partie du village. Souvent nous étions
dérangés pendant le déjeuner pour être sûr de trouver du monde à la maison, car
une personne voulait téléphoner (moyennant quelques centimes de l’époque).
Alors ma mère (même si cela l’obligeait à sortir de sa cuisine, cela fallait
partie désormais de ses nouvelles attributions), décrochait le combiné, donnait
un coup de levier, qui tenait lieu de cadran sans numéro. A l’autre bout du
combiné, une opératrice qui vous mettait en relation avec le numéro souhaité.
Vous connaissez « le 22 à Asnières », et bien c’était presque chez
nous que ça se passait !
Et tout naturellement, souvenirs
aussi de ces amuseurs que nous regardions parfois sur le petit écran, tout
grisonnant. Des blagues de potaches très souvent, mais toujours le rire était
franc d’un Bourvil, Fernandel, Fernand Raynaud ou autres Robert Lamoureux.
Autant d’illustres inconnues pour les nouvelles générations, mais que de choses
simplement racontées, et que de rires à profusion. Pagnol était toujours là.
Ainsi allait la vie dans notre
campagne, dans notre Bocage, tantôt très active, tantôt au ralenti. Nous nous
adaptions aux rythmes des saisons qui défilaient. Les hivers étaient souvent
synonyme de neige et donc de jeux, encore, toujours. De ces souvenirs alors que
nous étions enfants, certainement y en avaient-ils de moins heureux, de moins
intéressants, mais tous font désormais partis de nous, un morceau d’histoire
raconté par-ci, partagé par-là, à revivre, le temps de quelques lignes.