dimanche 20 décembre 2015

Souvenirs d'enfance
















Souvenirs d’enfance








Laurence…  Merci !
















Ces souvenirs-là vous replongent des années passées, oubliées presque, dures parfois, douces aussi car ce sont toujours (souvent), les meilleurs moments qui sont encore présents, comme si c’était hier en fait !
Au plus loin que mes souvenirs remontent, ceux-ci commencent dès la maternelle, et comme si j’y étais de nouveau, me revoilà parti sur les chemins de l’école…
Comme un sempiternel refrain, le retour de la cantine municipale, même si nous étions en rang par deux, encadré par les maitresses et le maître, nous rendait toujours plus turbulents, bagarreurs, enclin à jouer au ballon ou à courir après les jupes des filles.
C’était aussi à l’arrivée, le moment de plaisir de la journée, la grande récré !
Là, sans savoir ni lire, ni écrire et encore moins compter, nous savions que ça allait durer plus que la petite pause du matin, et plus encore, avant celle de l’après-midi, plutôt dédiée elle, à distribuer les goûters. C’était là cet instant privilégié où nous nous égarions à un peu plus de liberté, à courir dans tous les sens, les uns derrière les autres, à reluquer le nouveau, à embêter les filles qui jouaient à l’élastique, ou encore au ballon avec les mains (nous côté garçons, c’était plutôt avec les pieds, histoire de faire la différence, et dans la cour des grands, tout juste séparée par un porche, c’était même le maître qui marquait les buts !).
Tout ce petit monde s’animait dans un brouhaha amplifié par les salles de classes ou autre préau, qui entouraient la grande cour. Au milieu de celle-ci, 2 ou 3 arbres d’un âge certain, rompaient la monotonie de l’espace, mais ceux-ci taillés trop haut, n’apportaient qu’un piètre repli en cas d’esquive de jeux de grands (les CE1, juste après CP). Moi je n’étais encore qu’en maternelle, c’était presqu’hier !
Lorsque la cloche sonnait la fin des réjouissances, nous passions de l’état d’amusement à celui de « pff.. pas envie de dormi ! », enfin surtout moi !
-          « allez tous  à vos table, c’est l’heure de la sieste ! », ça c’était la maitresse, sœur Irène.
En ce milieu d’année 60, la mixité des écoles avait fait son chemin et l’école des filles tenue par les Bonnes Sœurs, avait ouvert ses portes aux garçons, de son côté l’école des garçons comptait désormais dans ses rangs, ses premières filles.
Les uns derrière les autres, comme à la revue, vêtus tous de notre sarrau d’écolier, entendez une blouse dernière tendance, en synthétique offrant une palette de couleurs impressionnante, digne des plus éclatants formicas de l’époque, nous rentrions nous mettre à nos places, pour un moment de repos bien mérité. Les tables n’étaient pas alignées, elles étaient disposées par petits groupes, mais nous n’avions pas non plus de place attitrée, autant que je me souvienne.
Bon, la sieste c’était peut-être bien sur le principe, mais souvent, impossible de dormir comme ça en claquant des doigts ! A y réfléchir, c’est peut-être bien là que m’est venu mon goût prononcé et très souvent reconnu, à regarder les mouches voler. J’avais l’esprit souvent ailleurs, parti dans des rêves éveillés, donc dormir pour en voir les yeux fermés, j’en voyais certainement pas l’utilité. Faut dire qu’il y avait pas grand-chose à faire, sauf observer ses camarades de jeux, encore haletants après des courses effrénées, sombrer les uns après les autres, la tête lourdement collée contre le bureau en bois vernis, la bouche parfois ouverte, avec souvent un filet de bave dégoulinant des lèvres à peine ouvertes. Et je vous passe le tableau des jours d’hiver !
A ce moment-là, quand les mouches avaient terminé de m’accaparer l’esprit, suivait souvent celui de la première remontrance, qui ressemblait plus à un ordre qui tombait « Philippe, dors ! ». Alors je fermais désespérément les yeux, mais à peine, juste assez pour que la maitresse puisse voir qu’ils étaient clos, mais pas de trop non plus, pour la voir passez dans les rangs distribuer des bonbons à ceux qui dormaient du sommeil du juste, enfin presque...
A peine le bonbon était-il posé devant mon nez, que mes sens repartaient à 100 à l’heure, avec la ferme intention de récupérer d’une manière ou une autre, une seconde sucrerie.
Il fallait viser juste, et attendre que la maitresse ait le dos tourné. Conserver les yeux mi-clos, ne pas bouger ou si peu, avancer le bras qui servait d’appui à la tête, pousser la main en direction du bonbon et le moment venu, dans un mouvement rapide, attraper le précieux butin.
Bon, ça marchait tous les coups, faut le reconnaitre, et j’ai aussi perdu quelques bonbons dans la bataille ; envolés dans un mouvement trop brusque, finissant leur course dans un roulement très reconnaissable, au milieu des dormeurs, et aux pieds de la maitresse. Resté collé aussi au creux de la main rendue immobile par la gentille donatrice, qui l’avait surprise en plein larcin. Ou benoitement reposé au même endroit, où ils saillaient quelques instants plus tôt avant d’être pris la main dans le sac, et retiré nonobstant par la même main, qui l’avait déposé quelques instants avant.

Bref, pas facile la vie, mais par contre doublement agréable quand la subtilisation faite du premier bonbon, la maitresse en reposait un second devant votre nez, pensant avoir oublié de récompenser le chérubin chapardeur de cette magnifique sieste, et de ce long moment de silence fort apprécié.
Beaucoup de choses pendant cette période de l’enfance, sont raccrochées aux périodes scolaires, aux vacances, les temps libres passés avec les voisins.
Et de sieste en récrées, les jours défilaient presque toujours identiques, l’école était notre quotidien, enfin presque…Ce matin comme tous les matins où la vie d’écolier devait inexorablement vous sortir de rêves à peine achevés, ma mère venait me réveiller.
Mais ce matin-là celle-ci me regardait un peu bizarrement, et que je te regarde comme ci, et comme ça.. « fais voir ? » « Y’a quelque chose qui va pas, on va appeler le médecin… »
Deux heures après, ça y’est c’est officiel, j’ai la rougeole !
Le médecin venait de quitter la chambre, le verdict était tombé. Plein de petites taches rouges parsèment mon épiderme et comme la varicelle est déjà un très vieux souvenir, je venais de décrocher la timbale à l’aube de mes presque 6 ans ; la rougeole était là !
Bon et après ça fait quoi la rougeole ? Ben avec quelques médicaments durement avalés, ça fait dormir encore dormir et toujours dormir, voilà le programme des jours à venir. Mais c’était sans compter sans la Bonne Sœur aux Piqûres qui déboula le lendemain dans ma chambre confinée, et avec un grand sourire, un accent rigolo et des R qui n’en finissaient plus de rouler, me collait sans avoir rien demandé ni à moi, ni à mon arrière train jusqu’alors préservé, une aiguille plus longue que ça encore, dans la fesse droite.
Tu vas voirrrr, tu vas rrrrien sentirrrr… Ben voyons !  Elle a dû être infirmière dans le 6e BPC de l’opération Castor de Diên Biên Phu, c’est pas possible ! En plus d’être malade, j’avais mal aux fesses maintenant, fantastique non ?!
« Vous mettrrrrez un rrrrrideau rrrrouge à la fenêtrrre, vous verrrrrez la rrrrougeole va passer toute seule, dans quelques jourrrrs, il n’aurrra plus rrrien »
Aussitôt dit, ma mère allait chercher un drap rouge et l’étendait pour couvrir la fenêtre, et du coup la chambre prenait en journée des allures de lupanar, j’voyais pas la vie en rose, là je voyais tout rouge… Pardon, rrrrrouge !
Après quelques jours longs et interminables, à geindre et à ne dormir que sur une fesse,  plus rien, ni petits boutons, ni même rougeur, à croire que la Bonne Sœur avait eu raison et c’est avec un grand sourire qu’un beau matin, elle pointa de nouveau le bout de son nez rond, à la porte de la chambre. « Alorrrrrs, comment ça va le malade, je vois qu’on a rrrrepris des forrrrces ! Encorrrre une petite piqûrrrrre et il n’y parrraitra plus rrrrien ».
Pas le temps de dire ouf, deuxième perforation en quelques jours, l’autre fesse cette fois.
Et là y’avait plus de doute possible, elle venait de rentrer des Dardanelles !
La vie à peine commencée ne nous épargnait déjà pas, qui plus est, celle en campagne était-elle peut-être plus vraie, plus riche aussi que celle de la ville, en tout état de cause était-elle différente.
La Rougeole passée, la vie reprenait comme avant, avec une expérience en plus, celle des piqûres et de la médecine militaire. Mais rapidement ce n’était plus qu’un lointain souvenir.
Avec la bande en culotte courte, nous étions  d’infatigables aventuriers,  car outre les commerces, il y avait plusieurs fermes, dans le village et il n’était pas rare de nous voir grimper sur les tas de paille ou de foin à peine rentrés pour l’hiver.  C’était parfois seul aussi, que je m’égarais dans les remises, garages et greniers qui formaient notre territoire.
Un jour comme bien d’autre, je tombais sur cette chose encore une fois. Bien sûr je savais ce que c’était, je l’avais identifié depuis longtemps, mais c’était plutôt sa mine rouillée et cabossée que je dédaignais. 
La voiture à pédales. Là, dans ce grenier à peine aménagé où s’entassaient des roues de rechange de l’Aronde break et noire, du verre pour les fenêtres, que mon père utilisait plus souvent chez les voisins après mes passages, que pour ses propres clients. Il y avait aussi des tas de bobines de ficelles de chanvre utilisées pour lier la paille, l’odeur était typique, accueillante, et au milieu de tous cela, la voiture à pédales.
Elle avant une forme qui rappelait celle d’un parallélépipède, de couleur rouge et rouille. Enfin plus rouille que rouge avec deux cercles sur le devant qui devait lui servir de phares, un volant noir et fin en plastique. Elle ressemblait à une R8 de la Régie Renault, mais en rouge et sans toit. Juste un truc rouge cabossé, rectangle, un volant, 4 roues et un morceau de tôle en guise de siège. Je n’ai jamais su à qui avait appartenu cette guimbarde usagée, mais du haut de mes 90cm, je pensais bien qu’elle pourrait m’occuper au moins 5 minutes.
Sitôt dit (sitôt pensé plutôt), j’allais de ce pas donner l’alerte auprès de mon père qu’une magnifique épave dormait dans le grenier, et qu’il me fallait (forcément) sur le champ, en disposer !
Après moultes tergiversations, mon père ne reculant devant aucun effort fit le nécessaire et c’est au retour d’une épique journée d’école que je découvris ce joyau de la pédale, au beau milieu de la cour de la maison.
A peine le dernier carreau de chocolat avalé (passage obligé par la case « ma mère »), que je me ruais vers ce magnifique carrosse, à peine abîmé et habillé d’une très belle robe rouge. Pas peu fier !
J’étais content, heureux de pouvoir contempler ce joyau de l’automobile à mes pieds. Second grand moment, celui de l’apprentissage qui commençait par devoir poser ses fesses (même petites), dans l’espace réservé au pilote.
Là, les choses commencèrent à se compliquer un peu, car pour ceux (ou celles) qui n’ont pas eu l’occasion de poser leur fesses (mêmes petites, je le répète)  dans une chose identique, ne peuvent pas comprendre…
Tout d’abord aucune porte ne vient agrémenter la voiture, et seul un trou avec un morceau de tôle au fond pour recevoir vos fesses, est la seule possibilité pour monter dedans. « Monter dans une voiture », voilà peut-être l’origine de l’expression, tout du moins c’est ce qu’il m’arrivait dans le milieu de cette cour, en plein soleil ; devoir monter dans cette guimbarde !
Une première jambe, non pas possible j’avais déjà le dessus de la cuisse en feu, râpé par une tôle à peine arrondie. Les deux jambes alors d’un coup ?
Encore moins ! Je restais coincé, le cul en apesanteur, les bras sur la carlingue et les jambes coincées qui cherchaient désespérément les pédales. Après de très longues secondes à souffrir le martyre, je m’aperçus alors que je pouvais poser un pied sur quelque chose de dur. Et telle ne fut pas ma surprise de découvrir que la dite voiture ne disposait pas de fond ! La chose dure en fait était le sol de la cour (sic !).
Dans un mouvement de replis une jambe plus intelligente que l’autre, vint en position pour donner de l’aisance au conducteur et tout à coup, le siège de la voiture, vint à m’accueillir comme il se doit. Je venais de prendre place dans la voiture, les fesses bien calées, les pieds au fond sur les pédales, les mains sur le volant.
Encore une fois, le visage rayonnant, j’étais content de cette position derrière ce cercle noir, comme une prise, un trophée. Bon, le seul bémol, c’est qu’à force de la regarder dans le grenier cette boite rouge, chaque jour passant, je prenais quelques centimètres et mes genoux râpaient du coup contre la tôle à chaque coup de pédale.
Oh ce n’était pas bien grave et ma fierté était là pour compenser, mais les saisons passèrent, de l’été, à l’automne et l’hiver arrivé, il fallut la mettre au garage pour l’année suivante.
Les jours passèrent et les mois, le printemps et l’été furent de nouveau là, mais la voiture à pédales due rester à sa place. La culotte courte avait rétrécie, les pédales forcément auraient dû être plus proches, mais impossible de m’y loger, ni de retrouver cette sensation du pilote qui entre dans sa bête pour la dompter.
Désespérément je l’abandonnais là et la voiture à pédales retournait dans son coin de grenier, pour y prendre un peu plus d’âge.
C’est vrai que les souvenirs mécanisés étaient très précieux pour nous, car il n’était pas rare de croiser encore une carriole à cheval et même si nous n’en n’étions qu’au début, les voitures n’étaient pas légion. Et tellement rares aussi, qu’il nous arrivait de les regarder passer sur la « gran’ route », et de les comptabiliser des heures durant. Pas de jeu vidéo, ou autre télévision pour nous accaparer, nous avions l’imagination pour nous et les illustrations des encyclopédies. Combien de gamins aujourd’hui savent ce que c’est, alors que nos parents collectionnaient les 10 ou 20 tomes des « tout l’univers ».. Tout un programme pour des enfants comme nous étions, avides d’images, d’aventures, d’horizons lointains.
 Sans plus de voiture à pédales donc, mais à pied ou encore à vélo, c’est dans ce petit hameau, du haut de mes trois pommes, que la vie avançait, entre copains, famille, goûters, anniversaires ou école encore.
En cette fin juin, nous venions de raccrocher nos cartables, et pour ce dernier jour de classe après une grande journée de ménage et nous poussions enfin la porte des grandes vacances. Plus de deux mois à ne rien faire ou presque !
Vivant à la campagne, les petits travaux d’été ne manquaient pas et en cette fin juin, début juillet, tout nous occupe. Ramasser le reste de pommes de terre en plein champ, cueillir les cerises, et jouer surtout avec la bande de voisins.
Le hameau s’était construit autour d’un imposant édifice religieux, je veux dire une Basilique. Cette basilique (dite « mineure », pour la différencier de celle de Rome) en pierre de la région, était principalement construite en granit. Sa construction en ce lieu un peu à l’écart du bourg, était étroitement liée à des apparitions de la Vierge, il y a bien longtemps, la légende se perd en conjectures quant à une date précise. La première chapelle construite vers le 17ème siècle, endommagée par les Bleus pendant les guerres de Vendée, fut reconstruire 3 siècles plus tard.
Au pied de cette immense bâtisse, une esplanade avec pelouses, arbres et autres calvaire et statues devenait quasi tous les jours, notre incontournable terrain de jeux. Nous étions une bande de gamins, tous nées à quelques semaines, ou quelques mois, tout au plus tous dans les 2 ans, du plus jeune au plus âgé et notre domaine était là. Pas ou très peu de voitures pour nous déranger. Parfois une messe avec les femmes du village pour écouter le prêche de la journée, messe pendant laquelle nous nous tenions sage, et plutôt silencieux, sinon nous finissions assez rapidement devant le curé, à nous tancer et nous promettre des heures à venir, très sombres (un peu comme lui, avec sa soutane et son grand chapeau). Tous les jours les cloches résonnaient pour l’angélus, et cela rythmait aussi matinées et tantôts, de notre groupe d’une quinzaine de gamins, au plus grand complet.
Sur cette esplanade, nous profitions de l’herbe fraichement tondue, pour nous y installer et jouer à la chandelle. Nous sautions aussi de pierres en pierres (genre de grands bancs taillés dans le granit) autour du calvaire, ou nous nous accrochions aux grilles de celui-ci pour en faire le tour sans mettre le pied par. Parfois nous bravions l’interdit (simple cadenas à la gille) et entrions dans ce lieu où les 12 apôtres avaient leur statue grandeur nature, c’était notre citadelle et dans le plus grand secret nous montions jusqu’à son sommet via un escalier en colimaçon qui nous menait soit en haut à la vue de tous (nous prenions garde de bien nous cacher), ou soit nous menait dans les soubassements, non aboutis, de la fontaine au 7 sources. Là le mystère s’épaississait et disait-on qu’il y avait encore des souterrains inexplorés, qui menaient jusqu’au château fort, situé à quelques kilomètres d’ici. L’endroit était sombre, et nous ne demandions jamais notre reste pour revenir dar, dar, à la lumière.
Le calvaire était l’endroit favori des grandes parties de cache-cache. Combien d’heures et de culottes courtes y aurais-je laissé, à mon plus grand plaisir et au plus grand désespoir de ma mère… Sur cette esplanade, de majestueux platanes d’un autre temps, bien alignés apportaient solennité et beauté à l’endroit, mais aussi faisaient d’excellentes cachettes, car suffisamment gros pour pouvoir nous y cacher derrière.
Avec les anniversaires ou le Noël, nous trouvions une solution pour jouer à cache-cache, sans devoir compter, et prendre le risque de ne pas pouvoir énumérer la cinquantaine jusqu’au bout. Nous mettions un ballon fraichement débarrassé de son papier cadeau, au milieu de nous et un premier volontaire, était désigné par le groupe pour rechercher ceux qui allaient se cacher. Le meilleur buteur de foot du moment, prenait son élan et frappait alors le ballon, afin qu’il aille le plus loin possible. C’était notre coup d’envoi, pour aller nous cacher. Le volontaire désigné d’office courait chercher le ballon et le ramenait à son point de départ, et la recherche pouvait commencer. Le jeu s’arrêtait lorsque tout le monde était trouvé, ou continuait encore dès lors que l’un encore non attrapé, venait frapper le ballon, provoquant du même coup la libération de ceux qui se morfondaient. En règle général ça se terminait en pleurs, en « j’en ai marre ! j’veux plus jouer ! », et en général l’angélus du soir sonnait l’arrêt définitif des réjouissances. Peu importe, le lendemain, nous nous retrouvions et de nouvelles idées de jeux fusaient, sans que nous nous en lassions. Les gendarmes et les voleurs avaient longtemps été au hit-parade de nos meilleurs jeux, ensuite avec la venue de la première télé, on était des cow-boys ou des indiens, suivant l’accoutrement du moment :
-          « Moi c’est Œil de Faucon ! »
-          « On dirait plutôt, œil de Vrai C.. ! »
-          « Tu vas voir si je t’attrape ! »,

Et voilà encore une belle journée qui commençait bien...
Ou alors, on devenait espion dans la peau de Max la Menace, et on pouvait nous voir parler à nos chaussures ou nous soulevions avec beaucoup d’énergie dépensée, les monstres de granit, à la façon de Fifi Brindacier. En petits comités ou avec le groupe au grand complet, il y avait toujours des jeux sur l’esplanade. Enfin presque tout le temps…
Au milieu du mois d’Août, notre espace de libertés prenait de la hauteur et l’endroit devenait plus théâtral. Centre de pèlerinage Marial oblige, la fête du 15 Août était alors incontournable, mais la Basilique trop petite ne pouvant accueillir tous les pèlerins d’un coup, le curé prenait ses quartiers dehors, en élisant villégiature à l’entrée du calvaire, notre calvaire !
Un podium ressemblant à une scène de concert était installé par les habitants du village, elle prenait appui d’un côté sur une structure métallique et de l’autre sur la partie en granit du calvaire. Le parquet ainsi disposé, dominait à plus d’un mètre au-dessus du sol, ce qui permettait lors des jours de grandes influences comme au 15 Août, de cérémonier et d’être vu par toute la foule d’un coup.
Nous savions ce qu’il en était, nous faisons partie des enfants de cœurs !
Le 15 Août était un jour particulier, car s’il célébrait la « Boun’ Vierge », il servait aussi de prétexte à la bénédiction des voitures de tout un chacun. La voiture avait perdu son côté tacot, et s’était modernisée, avait pris en vitesse aussi, mais peu gagné en sécurité et les accidents de circulations devenaient malheureusement très courants, de nombreuses familles continuaient de payer un terrible tribut à cette nouvelle modernité. Comme pour conjurer une mécanique machiavélique, et sans aller jusqu’à diabolique (quoi que !), le curé avait organisé une grande partie de goupillon, au pied de la basilique. Une fois la grand-messe en plein air terminée, un service d’ordre digne de meilleures courses de rallye, disposait les voitures de tout le monde, des visiteurs ayant traversé le département, comme celles des autochtones, à la queue leu leu. Lorsque Monsieur le curé était prêt, c’est au pas et à grands coups de « je vous salue Marie », que les voitures avançaient se faire bénir. Et la première passait, et enfant de cœur « volontaire », le seau d’eau bénite en main, je m’appliquais à rester dans la trajectoire descendante du goupillon tenu par le curé, pour qu’il se charge en eau, et s’étaient des Aronde, Dauphines, 4 chevaux, DS, 404, R8 ou R10 ou 4L ou 2 chevaux encore, qui défilaient et splash, une en plus, splach encore.. Bref, au bout d’une heure, fallait au moins ça, les voitures désormais protégées par la bienveillance céleste, reprenaient le chemin du parking, et les conducteurs tous contents et fiers d’avoir participé à l’évènement, entraient dans les cafés toujours ouverts après la messe, pour arroser comme il se doit ce jour bénit !
Dans ce petit village du Bocage, situé à une heure de l’océan d’un côté, et à une heure des vastes plaines à blé de Poitiers, le moindre visiteur, le moindre événement même extérieur devenait souvent à nos yeux de mômes, extraordinaires. Dans le village on dénombrait 4 bistrots, 1 boulangerie, 2 épiceries, 1 cordonnier, 1 grande quincaillerie, 1 maréchal ferrant, 1 garagiste avec ses pompes à essence (et ses BD de Luky Luke), un marchand de cochons (même si on n’en voyait jamais un seul !). Et aussi un lavoir où les dames allaient tous les lundi matin, les brouettes chargées comme des mules, remplies des lourds draps de la semaine. C’était tous les jours l’effervescence dans ce village.
Pour nous avec les copains, ces grandes vacances c’était le meilleur moment qu’il fut, et pour moi surtout, synonyme de retrouvailles. Nous avions des amis habitant dans le Territoire de Belfort et qui venaient nous rendre visite chaque année pendant les vacances. Leur plus long séjour était pendant l’été, et ils profitaient parfois de leurs vacances, pour venir avec la « Mama », la grand-mère Italienne. Elle avait tout le l’Italie chaleureuse, joviale et conviviale. Avec un embonpoint certain, elle avait toujours les cheveux tirés en arrière et un petit chignon finissait sa coiffure.
Un jour nous sommes allés faire un tour à la plage, Les Sables d’Olonne très certainement, et j’ai été touché par cette image très forte, de cette Mama qui venait de quitter son Territoire de Belfort, avait traversé toute la France et se retrouvait pour la première fois de sa vie devant l’océan. Après quelques pas dans le sable fin, elle s’arrêta, pris le temps de s’assoir sans quitter des yeux les vagues. Son regard embrassait  l’immensité tumultueuse, le visage souriant, des larmes coulaient sur ses joues de grand-mère Italienne. Immobile et très émue, elle resta de longs moments à contempler l’infini, à rattraper le temps perdu et profiter, profiter encore et encore de ce spectacle beau et puissant à la fois de l’océan.
Nos amis du Territoire de Belfort n’étaient pas venus « comme çà » de simples amis que l’on pourrait se faire au détour de vacances par exemple. Pierre alors adolescent avait suivi ses parents jusqu’en Vendée, poursuivis par les Allemands pendant la dernière guerre. Ils avaient trouvé refuge chez mon grand-père, le père de ma mère, dans sa ferme. La ferme était grande et disposait, si ce n’était à la maison, mais au moins dans les différents bâtiments, de la place pour une voir plusieurs familles. Comme beaucoup de familles réfugiées de l’époque, ils avaient tout laissé derrière eux, en l’occurrence leur petite quincaillerie de Montbéliard. Ils avaient pris avec eux le minimum, car le voyage était long, et la route loin d’être sure. Mon grand-père ayant fait Verdun, il savait ce que le mot guerre représentait et les accueillis dans la ferme familiale. Rapidement au fil des saisons, ils participaient aux travaux des champs, travaillaient à la ferme et liaient une forte amitié avec la famille. Le père de Pierre cherchait des renseignements concernant la résistance, très actif, il rejoignait les réseaux du coin, qui avaient vu le jour avec l’occupation.
Un jour les militaires Allemands débarquèrent dans la cour de la ferme, ils  recherchaient des fugitifs et commencèrent à vouloir fouiller la maison. Mon grand-père, un homme de forte stature, ayant perdu un œil lors de la première grande guerre, lui qui avait fait Verdun ne se laissa pas impressionner. Il se tenait dans l’encadrement de la porte et lança aux militaires qu’il n’y avait personne à rechercher ici et que s’ils voulaient fouiller la maison, ils devaient d’abord s’occuper de lui. Peut-être était-il prêt à en découdre, il en allait par contre tout autrement pour ma mère encore jeune fille et ma grand-mère. Toutes les deux étaient des plus apeurées, mais il ne fallait pas le montrer devant l’occupant et rester déterminées quoi qu’il en coûte.
Les militaires avaient certainement mieux à faire que de chercher querelle, et s’en furent au plus grand soulagement de tout le monde. Nos amis firent pendant quelques temps profil bas, la ferme étant une grande cour fermée par les bâtiments, il ne fut pas trop difficile de rester discrets et invisibles. La famille pensait plus à un délateur du village voisin, qu’à une visite à l’improviste des militaires. Mais cela n’alla pas au-delà du doute, ils ne surent jamais qui avait pu les donner.
La guerre terminée, nos amis repartirent à l’autre bout de la France, en se promettant toutefois de revenir tant les liens d’amitié étaient devenus forts. Et c’est ainsi, qu’au fil des années et des périodes de vacances des uns et des autres, nous profitions de leur présence mais aussi de temps à autre, de leur hospitalité.
Les années passèrent, Pierre se maria avec une jeune fille au sang mêlé d’Italie et de Franche-Comté, et c’est la Mama de celle-ci qui en ce merveilleux jour de plage était là assise devant moi, le sourire gravé sur son visage et les yeux embués de larmes de bonheur.
Une fois leurs vacances terminées, nos amis repartaient dans leur foyer avec de temps à autre, votre serviteur dans leurs bagages.
Ayant eu 5 enfants, ils n’avaient aucun mal à me recevoir, d’autant plus que les plus grands étaient soit partis en camps, chez d’autres amis, ou encore avaient-ils trouvé un job pour l’été. La maison était grande, avec d’un côté ses longs couloirs d’une grande ferme reconvertie en pièces habitables, cuisine,  salon et autres chambres et de l’autre côté, un bistrot.
L’activité ne manquait jamais, les clients apportaient leur bonne humeur, ou leurs histoires du jour, qui ne manquaient jamais de focaliser l’attention des plus invétérés piliers de bar. Le bistrot était presque intime, les petits carreaux jaunes des fenêtres assombrissaient l’espace et son odeur était caractéristique, mélange de tabac et fumée. Ici on est au pays de la choucroute (entre autre), de la saucisse fumée de Montbéliard et celle de Morteau n’est pas loin non plus. La porte du bistrot donnait directement sur le carrefour de la route qui menait au pays Helvétique. La Suisse n’était qu’à 4 kilomètres et il n’était pas rare que nous y allions pour faire le plein de la voiture ou encore y manger une excellente fondue au fromage. Pour cela, le dimanche nous laissions la voiture à l’orée du bois qui donnait la limite de nos deux pays, France d’un côté, Suisse de l’autre, avec entre les deux, un douanier Suisse pour vérifier qui avait le droit de passer ou pas. L’auberge perdue dans ce fond de campagne, nous accueillait pour festoyer, rire, et refaire le monde. La fondue, cette fondue-là, avait ce goût particulier des instants de bonheur qu’on n’oublie jamais.
Cette famille qui m’accueillait, était une famille de randonneurs chevronnés, et de temps à autres, partait faire le tour du Mont Blanc, qui n’était qu’à quelques encablures à vol d’oiseau. La montagne d’un côté, la Suisse de l’autre c’est tout naturellement qu’un jour, alors que je cherchais à m’occuper, on me déguisa en très jeune Helvète, avec le short en cuir tenu par des bretelles, elles aussi en cuir, et reliées par le devant par un morceau lui aussi de la même matière surmonté d’un édelweiss cousu en plein milieu. Vu la vitesse à laquelle j’usais mes fonds de culottes, celle-ci aucun danger ! Même si au début la rigidité de l’ensemble faisait que l’habillage était un peu sportif, très rapidement le confort de l’ensemble fit que je ne m’en passais plus. Avec 5 enfants à la maison, même si tous n’étaient pas tout le temps-là, les jeux ne manquaient pas et on mit un jour à ma disposition des déguisements. Mon préféré, car c’était aux actualités aussi, c’était celui de cosmonaute.
La combinaison de couleur aluminium, m’allait comme un gant, des bottes brillantes aux pieds, la combinaison remonté jusqu’aux oreilles il ne me restait plus qu’à mettre le casque. C’était un peu plus compliqué là, car cela avait tendance à frotter aux oreilles et ce n’était pas vraiment l’accessoire qui m’allait le mieux. Mais une fois l’accoutrement bien en place, je n’étais pas peu fier de moi. Il ne me restait plus qu’à me glisser dans le bout de fusée qui allait avec le costume. Bout de fusée qui ressemblait à s’y méprendre (au plastique près), au module des fusées lunaires Apollo. Pour moi c’était le grand décollage, le compte à rebours, la marche sur la Lune, la collecte des cailloux lunaires… J’étais dans mon monde, heureux.
Après quinze jours ainsi passés, entre le cosmos et les Alpes Suisses, mes parents venaient à leur tour se reposer une semaine et profiter de l’hospitalité de nos amis. Leur arrivée même si très attendue, sonnait aussi à brève échéance, le retour à la maison, direction plein Ouest.
Parfois je revenais avec la culotte de cuir, ma sœur en vacances en Autriche, m’avait acheté un chapeau Tyrolien pour parfaire la tenue. Autant alors que j’étais chez nos amis, la culotte de cuir était coutumière à voir, car faisait partie du folklore, même mieux était l’habit de certains hommes du village, les jours de fêtes ou les dimanches, autant une fois revenu à la maison, que mes copains ne tardaient pas à rire de moi. Et donc exit la culotte de cuir, revenons au short d’été, à peine assez épais pour contenir les assauts des indiens se défilant devant une horde de cow-boys, très motivés  à leur faire la peau. J’avais retrouvé les copains et les vacances pouvaient reprendre là où elles s’étaient arrêtées, le temps de cette pause au pays de Montbéliard. 
Toujours des souvenirs de vacances ou de copains ou de famille. Toujours plein d’activités au jour le jour, tantôt ici, tantôt là, à courir derrière des vaches dans les prés, ou parfois devant pour leur échapper… Les journées étaient trop courtes dans ces moments-là, mais parfois ces mêmes journées paraissaient interminables, faute de trouver de quoi s’amuser, ou une nouvelle idée de jeu.
Il m’arrivait alors, d’accompagner mon père soigner les bêtes dans les fermes ou aller dépanner avec lui, une machine récalcitrante dans les champs. Mon père était Maréchal Ferrant, il donnait les premiers soins aux bœufs et autres chevaux de traits, mais rapidement avec la mécanisation en campagne il avait dû se reconvertir à la mécanique agricole.
 Les moments avec mon père étaient précieux, car rares, et quand celui-ci prenait quelques jours avec nous, ma mère, mes sœurs et moi, c’étaient des instants vraiment privilégiés.
Le nez dans le bocage à longueur d’année, nous profitions de temps à autre, pour nous en échapper et filer direction l’océan. Une des destinations que mes parents adoraient, c’était Les Sables d’Olonne. Non pas que ce fut la plus proche, mais c’était certainement la ville côtière, la plus agréable du moment, ville, port, grande plage de sable fin, tout était réuni là, pour passer quelques jours de repos toujours très agréables. Aux Sables, nous retrouvions un peu aussi notre simplicité de campagne, on y était bien.
Après presque deux heures de trajet, entassés dans une 4L (toujours de la Régie), avec mes 2 sœurs à l’arrière, les bagages qui débordaient du coffre, nous débarquions en ce début septembre, dans une petite location pour quelques jours de plage et d’océan, au cœur des Sables. La place était chère, et il fallait s’organiser tant bien que mal pour y passer de bons moments malgré tout.
Fin d’été,  après quelques courses du matin, tantôt au marché, tantôt sur le port, et une première promenade sur le remblai, la chaleur nous faisait encore raser les murs. L’été était toujours bien présent, sans faillir années après années. Le déjeuner s’organisait prestement et une fois terminé, la vaisselle déjà nettoyée et rangée, nous devions faire la sieste, pire qu’à l’école mais là pas question de chaparder quoi que ce soit, car c’était simple, si tu ne dors pas, tu fais tes devoirs de vacances… Donc quitte à choisir, repos !
 Nous n’étions pas à la plage avant le milieu d’après-midi, un peu avant le goûter. Le temps de nous poser, de louer une cabine de plage rayée bleue et blanche, de mettre en place les sièges, les serviettes, la glacière de voyage qui nous accompagnait pour les boissons fraiches, et nous voilà partis pour quelques heures de châteaux de sables, de trous immenses à reboucher inlassablement ou à vider de son eau de mer, que le ressac ne finissait plus de remplir, de soleil et de bains dans l’océan.
Ici ce n’est pas la Mer, c’est l’Océan et toute sa beauté, son calme plat synonyme de drapeau vert et donc de baignade sans soucis pour mes parents. L’océan, c’était le début de grandes histoires aussi, les yeux plongés dans l’horizon, on avait l’impression  de la toucher, comme une terre promise, car là-bas tout au bout c’était déjà l’Amérique.
Et l’Amérique pour un petit garçon de 9 ans, c’est avant tout des cow-boys, des indiens, de grandes plaines, des chevaux, des Shérifs, des revolvers, toutes ces images et histoires du far-West, lues et relues dans les encyclopédies, si merveilleusement coloriées.
Quand le drapeau sur la plage virait du vert à l’orange, je restais sur le sable à contempler cette ligne au loin, l’imagination faisait alors le reste et je m’évadais comme çà, loin, très loin.
C’était des vacances de lecture pour la famille, de jeux, de chamailleries aussi avec mes sœurs, mais c’était avant tout la famille et le plaisir de se retrouver tous ensemble. Le soleil dans le ciel était déjà plus bas et son reflet sur les flots s’étendait dans un ciel qui prenait ses couleurs de fin d’après-midi. C’était pour nous aussi, le signal du retour dans notre appartement loué dans une étroite ruelle de ce centre des Sables, juste là, à deux pas de la plage et de l’horloge carrée qui domine la longue promenade du remblai.
Ce jour-là, il n’y avait rien de particulier, un peu comme une routine installée, le matin marché, boulangerie, port et l’après-midi, sieste et plage. Les soirées se terminaient généralement après le diner et une grande promenade le long de l’océan.
Une routine faite aussi pour se reposer des longues semaines de travail. Là, la famille, le calme, la nonchalance, la chaleur de cette fin d’été, faisaient bon ménage. Sans parler de bonheur, ça se passait comme ça et nous étions contents d’être là.
Nous nous affairions à préparer notre nuit, pyjama, brossage de dents, débarbouillage, et déjà le sommeil prenait le dessus. L’air marin chargé d’iode nous épuisait, c’était un vrai plaisir, nous tombions les uns après les autres, repus de notre journée ici. La lumière finissait pas s’éteindre et nos parents se coucher eux aussi.
Et tout à coup ce bruit sourd, ce grondement jamais encore entendu, long à n’en plus finir, on pouvait imaginer toute la puissance de la chose qui nous sortait avec torpeur, de notre nuit à peine commencée. Très vite mes parents émergèrent et allumèrent nos chambres, nous nous retrouvions quasi hystériques, mais surtout effrayés, dans la pièce qui tenait lieu de salon. Déjà mon père était à la fenêtre et comme presque tous les voisins, même au-delà, jusqu’où pouvait porter le regard, les gens s’interpellaient, se questionnaient, se rassuraient aussi.

C’était quoi ? L’orage ? Un accident ? Un feu d’artifice ? Toutes les hypothèses allaient bon train, et puis la plus plausible est venue comme une rumeur, comme une longue vague qui vous submerge…De balcons, en fenêtres, les mots résonnaient comme un écho dans le long défilé des rues étroites ; non, c’était un tremblement de terre !
La terre venait de bouger sous nos pieds, et nous n’avions rien pu faire, cette chose nous avait surpris et apeuré à la fois, car nous remettait dans une dimension inattendue de fragilité et d’éphémère, bien loin de cette ambiance chaleureuse de cette fin de journée.
Entre soulagement, et hystérie ma mère partit dans un grand rire qui nous laissa tous dubitatif et le temps qu’elle reprenne son souffle, nous avouait toujours entre deux rires, que toute juste endormie, entre rêve et réalité, elle pensait qu’il s’agissait en fait, d’un voleur qui courait devant son lit et pour y échapper s’était cachée sous le peu de couverture en sa possession, espérant que cela finisse rapidement.
Tous inquiets mais soulagés et amusés aussi par notre mère, nous regagnions notre lit, en espérant malgré tout, que ce tremblement de terre soit bien le dernier avant longtemps.
Quelques jours plus tard, nous n’en finissions plus de raconter  « Notre tremblement de terre » à tout le monde, les voisins, le boulanger, le curé.. bref tout le quartier jusqu’à au moins 50km à la ronde était au courant.
De retour à la maison, la plage rendue à des années lumières, la reprise pour tout le monde, école ou travail, c’était pour demain.
Mes parents d’origine modeste, comme la plus part des personnes en campagne, possédaient un petit commerce. Celui-ci faisait suite au commerce tenu par le père de mon père. C’était très souvent comme çà, les générations se passant le flambeau, pour que l’activité puisse perdurer et la famille en vivre.
Nous étions dans ces années où le cheval et les attelages de bœufs parcouraient encore les champs, mais étaient aussi remplacés progressivement par les machines, et notamment par tous les tracteurs qui pouvaient nous venir des Amériques.
Parfois le jeudi lorsque nous restions à la maison, une odeur caractéristique venait titiller nos odorats encore endormis. Sous la fenêtre de la chambre, mon père officiait !
Un client était venu tôt ce matin avec son cheval de trait. Ce dernier, boitait, il devait avoir une pierre ou un morceau de métal ou autre clou, enfoncé dans la chair tendre sous le sabot. Le cheval était alors installé dans un tramail, pour le maintenir pendant les opérations délicates qui nécessitaient à retirer les éléments contendants. Heureusement solidement attaché, l’animal se démenait dès lors que la zone sensible était approchée, et ce jusqu’à ce que l’objet malheureux fut retiré.
Soigné ensuite, mon père apposait un pansement le temps de l’opération de la pose du fer. Les fers à chevaux il y en avait de toutes les tailles, il fallait en choisir un pas trop petit, ni trop grand, de quoi faire un petit ajustement c’est tout. Le fer ainsi décroché du plafond de l’atelier, où plusieurs dizaines attendaient une utilisation prochaine, prenait place au cœur du feu entretenu et puissant de la forge. Mon père le sortait rougeoyant, le martelait sur l’enclume, pour l’élargir un peu ou le fermer, suivant ses besoins. Il sortait de la forge et allait avec son fer, l’ajuster sous le sabot du cheval. A peine avait-il touché la corne qu’une épaisse fumée s’en dégageait et une odeur caractéristique de corne brulée envahissait la petite cour devant l’atelier, et remontait ainsi jusqu’à nos fenêtres de chambres situées au-dessus.
Au-delà du travail de maréchal ferrant qui était fascinant, c’était aussi le spectacle de ces magnifiques chevaux qui passaient à la forge se faire soigner, certains plus chétifs que d’autres, d’autres encore plus grands que les plus grands, plus larges que les plus larges, et toujours cette très forte impression de puissance et de robustesse absolue. Un jour pour me faire plaisir, un client de mon père m’attrapa et me jucha sur son magnifique cheval. Celui-ci était blanc, une crinière longue à laquelle je m’agrippais, j’avais l’impression d’être monté sur un mastodonte bienveillant et très intimidant à la fois. Drôle de sensation, entre fierté, plaisir et apeurement.
Il n’y avait pas que les chevaux qui passaient par la forge se faire soigner ou entretenir. Un client venait à l’atelier juché sur sa remorque, attelée à sa bourrique. Les mauvaises langues disaient qu’ils étaient faits pour s’entendre ces deux-là ! Y’avait un peu de vrai…
Parfois c’était un attelage de bœufs qui passait. Ceux-ci étaient plus utilisés pour les travaux demandant de la puissance, le cheval faisait le labour et les bœufs, passaient la herse et le rouleau. Là aussi, leurs sabots étaient protégés par des fers spéciaux et toujours cloués aussi dans la corne, pour qu’ils ne soient perdus trop rapidement. Mon père s’y entendait pour les soigner et prendre soin d’eux. J’aimais côtoyer ces animaux impressionnants, il fallait rester calme, les approcher doucement et seulement là, tendre la main pour les caresser en leur montrant un brin d’affection.
Pendant que mon père s’affairait aux travaux de la forge, j’accompagnais aussi ma mère à son jardin. Presque tous les légumes que nous mangions à la maison, venaient de sa production.
Il y avait en fait 2 jardins, un grand très potager, et un second aussi mais plus petit, avec des circonvolutions fleuries, un poulailler, une balançoire aussi pour nous, une cabane au fond du jardin où nous refaisions le monde. L’atmosphère y était plus bucolique, alors que dans le premier, l’ordre, les alignements, la terre fraichement retournée, les parcelles presque tamisées donnaient un air plus besogneux. Le travail n’y manquait pas et pour que les légumes y trouvent tous leur place, ma mère était assistée d’un jardinier, Zé ! 
Petit garçon, tous les adultes m’impressionnaient, certains, plus que d’autres, il y avait le curé bien sûr en premier lieu, car lui c’était le patron de la Basilique, juste devant notre maison. J’en ai connu en soutane, portant un grand chapeau noir pour terminer le personnage. Il y avait certains clients de mon père, grands, forts avec une voix puissante qui portait loin, qui commandaient leurs chevaux.
Et il pour y revenir à ce jardin de ma mère, il y avait Zé qui m’impressionnait aussi.
Zé c’était le petit nom du jardinier qui donnait le coup de main aux légumes. Difficile de faire beaucoup plus court me direz-vous !  D’où lui venait-il, impossible à dire car son véritable nom était Joseph. L’air jovial et d’un certain âge, il composait avec les lunes les semis ou autres plantations du jardin familial. Aujourd’hui ici, le lendemain chez un voisin ou encore dans un autre quartier. Il gagnait ses journées comme çà, vivant à la campagne avec sa famille, il était seul, ancien militaire en pré-retraite.
Le visage buriné par le soleil, les mains calleuses, le regard était clair, d’un bleu très perceptible sous la visière de sa casquette. La cigarette vissée au coin des lèvres, il avançait derrière ses outils, et la terre prenait forme. Le geste était sûr, toujours pareil, propre et efficace. Le regarder travailler, c’était un moment d’apprentissage intense. Aucun mot, la râtelle filait devant lui et revenait dans des mouvements courbes, et repartait aussi vite et revenait encore, et repartait… le sol il y a encore 5 minutes, désordonné, grossier, prenait en quelques mouvements, l’allure d’un tapis, d’un jardin Zen.. Zé n’était pas loin !
Drôle de bonhomme, qui passait son temps à jardiner. Il avait été pendant la guerre, l’ordonnance du Générale de Gaulle, juste ça ! Rien derrière ces traits rugueux, et sa chemise à carreaux trop grande, ne laissait deviner un homme ancré dans l’histoire. A l’observer, c’était le respect qui dominait, non pas une admiration, juste de la considération.
Zé, c’était notre jardinier, mais c’était bien plus encore !
Le jardin d’un côté, la cuisine de l’autre, ma mère si elle n’était pas à un endroit, on pouvait être sûr de la trouver à l’autre.
Et nous, moi et mes sœurs, souvent devions-nous faire la navette, soit à la chercher dans un coin alors qu’elle était dans un autre, soit à courir au potager courir derrière le persil qu’il manquait, ou la salade qui avait été oubliée, pour le repas. Son éducation d’entre deux guerres l’avait habituée tantôt aux économies, tantôt à l’opulence toute relative de la ferme. Cette mixité nous allait bien car nous mangions à notre faim (largement) et toujours de vrais repas, avec une cuisine restée très traditionnelle.
Une à deux fois par an, c’était le grand chambardement à la maison. Je voyais ma mère en habit blanc d'infirmière, comme sortie de son hôpital de campagne, apparaitre de bon matin, affublée de ses 2 acolytes endimanchées à l’identique. L’une était ma tante, et l’autre la voisine, toutes deux venues prêter main forte à ma mère, pendant ces quelques jours de cuisine du cochon. Du fond de la cour, on pouvait les cris du condamné en train de se faire trucider, mais nous étions persona non grata. Impossible de participer, ni de près, ni de loin à la mise à mort de nos futures rillettes. Tout au plus avions nous le droit d’approcher, une fois le cochon saigné, et passé rapidement dans un feu de paille, histoire de lui brûler toutes les soies présentes sur le corps. Ensuite d’une main d’expert, un habitué de la besogne, commençait-il son dépeçage sciemment ordonné. La bête était vidée, les tripes récupérées, vidées, nettoyées, et laissées là à mariner dans de la saumure. Les abats mis de côté, le taillage des morceaux nobles pouvait commencer, et que je te coupe un jambon, et un autre.. les jarrets, l’échine.. bref, il fallait bien 2 à 3 jours pour tout récupérer, énumérer, détailler en plus petites portions, cuisiner (la fressure mettait un certain temps à cuire),  assaisonner, saler, conserver..
Tout est bon dans le cochon ! Oui entièrement d’accord, et ça fait pas mal de boulot aussi !   
A peine revenu de l'école et mon goûter du coup, laissé de côté sans gros appétit, j’étais souvent mis à contribution pour les pâtés, à tourner le moulin à viande, à remplir des grandes casseroles sorties pour l’occasion. Le travail le plus délicat était la réalisation des boudins, noirs ou blancs, peu importe ; les boyaux très fins avaient tendance à se rompre et avaient une forte odeur pas très agréable. Je donnais aussi le coup de main, à ma mère, lorsqu’elle ficelait le jambon dans le sel. Bien enveloppé dans un morceau de vieux drap très robuste, le jambon était recouvert de gros sel, et enveloppé comme cela avec cette grosse couche pour le protéger et aussi le cuire doucement. Après quelques jours ou semaines, ma mère vérifiait sa texture et préparait un assaisonnement à base d’épices. L’odeur très typique des épices Rabelais laissait imaginer de merveilleuses tranches de jambon sec en perspective.  
Pendant ces longues journées où la maison avait pris des allures de ruche, ça s'agitait de la cave à la cuisine, de l’arrière cuisine au jardin (pour le laurier, l’ail, la ciboulette, le persil…) et en quelques jours, le cochon avait complètement disparu, transformé, coupé, émincé, mouliné, assaisonné, dégusté aussi, pour les morceaux les plus à même de terminer directement dans la poêle. 
Après ces moments de forte intensité, le calme revenait doucement dans la maison, où quelques jours durant, flottait encore un petit parfum de cochonnaille.
Voilà quelques souvenirs partagés ici, triés parmi tant d’autres, comme ce souvenir de cet été 67, nous étions tous transportés à des milliers de kilomètres de chez nous, de notre planète, nous étions tous à regarder cet astronaute marcher sur la Lune. Que d’angoisse, d’émotions, de joie aussi, car c’était l’évènement à ne pas manquer indéniablement, mais pour nous, le premier événement bien avant cette épopée humaine, c’était de pouvoir regarder la télévision de notre voisine de tante, car point de poste chez nous.
Souvenir aussi des PTT Postes, Télégraphes et Téléphones, pour ceux qui auraient oublié, et de ce téléphone que nous possédions pour une bonne partie du village. Souvent nous étions dérangés pendant le déjeuner pour être sûr de trouver du monde à la maison, car une personne voulait téléphoner (moyennant quelques centimes de l’époque). Alors ma mère (même si cela l’obligeait à sortir de sa cuisine, cela fallait partie désormais de ses nouvelles attributions), décrochait le combiné, donnait un coup de levier, qui tenait lieu de cadran sans numéro. A l’autre bout du combiné, une opératrice qui vous mettait en relation avec le numéro souhaité. Vous connaissez « le 22 à Asnières », et bien c’était presque chez nous que ça se passait !

Et tout naturellement, souvenirs aussi de ces amuseurs que nous regardions parfois sur le petit écran, tout grisonnant. Des blagues de potaches très souvent, mais toujours le rire était franc d’un Bourvil, Fernandel, Fernand Raynaud ou autres Robert Lamoureux. Autant d’illustres inconnues pour les nouvelles générations, mais que de choses simplement racontées, et que de rires à profusion. Pagnol était toujours là.

Ainsi allait la vie dans notre campagne, dans notre Bocage, tantôt très active, tantôt au ralenti. Nous nous adaptions aux rythmes des saisons qui défilaient. Les hivers étaient souvent synonyme de neige et donc de jeux, encore, toujours. De ces souvenirs alors que nous étions enfants, certainement y en avaient-ils de moins heureux, de moins intéressants, mais tous font désormais partis de nous, un morceau d’histoire raconté par-ci, partagé par-là, à revivre, le temps de quelques lignes.